Toiles et Dessins
En 1952, Philippe Muel fit la connaissance de Georges Charbonnier (1921-1990) docteur es lettres et sciences humaines, critique d’art, producteur d’émissions de radio (France Culture). Il réalisa une impressionnante série d’entretiens avec les plus grands peintres , écrivains et musiciens des années 50 à la fin des années 70 (Braque, Giacometti, Duchamp, Miro, Matisse, Hartung etc…, Lévi-Strauss, Borges, Queneau etc…, Varese).
Les textes en italique qui suivront sont tous tirés de deux entretiens radiodiffusés en 1963 et 1968.
Georges Charbonnier : Alors que vous faisiez œuvre de peintre au sens tout à fait classique du terme, l’intervention d’un matériau neuf, qui vous a amené résistances nouvelles et menaces nouvelles n’a pas fait disparaître l’homme.
Philippe Muel : Oui, j’ai cru à un moment d’ailleurs que ça pouvait faire disparaitre l’homme, qu’il n’y avait plus d’art possible …
Georges Charbonnier : Vous le souhaitiez?
Philippe Muel : Non, ça m’embêtait, ça rendait la vie un peu invivable… Mais enfin, je n’avais rien d’autre, je ne pouvais plus peindre comme avant et je ne pouvais rien faire.
J’avais commencé à faire une partie graphique puis j’ai trouvé une matière, le polyester. C’était une matière toute nouvelle à ce moment là, qui était extrêmement commode parce qu’elle durcissait très vite et qu’on pouvait mettre du noir sur du rouge, du rouge sur du noir, du blanc sur le noir à dix minutes d’intervalle.
Et puis j’ai découvert que cette matière était une matière, elle était pas une couleur, une couleur simplement commode. Alors du moment que c’était une matière, j’ai commencé à faire des essais qui consistaient à la faire se mélanger, couler, s’enfoncer à l’intérieur d’elle même. Si vous voulez, vous avez une tache noire et une tache rouge, vous faites filer les deux lignes dans l’autre, et puis qu’après coup, c’était assez passionnant.
Le fait que la matière coule ou se mélange, d’abord ça introduisait des choses curieuses, des tensions superficielles. Ça faisait des espèces de dispersion de couleurs. Alors pour moi, c’était important dans le mesure où il y avait quelque chose qui se passait en face de moi et dans quoi j’intervenais au lieu de faire directement la chose.