1967-1968

Le Monochromateur, ou la machine à créer l’Art

Philippe Muel se tourne aussi vers d’autres champs de recherche liés à la physique, comme l’électromagnétisme.

Il observe les circonvolution d’un aimant suspendu à un fil de plus de 6 mètres, oscillant entre plusieurs électroaimants placés à divers endroits de son atelier, cherchant des idées de mouvements. Il soumet des poudres de limaille de fer, ainsi que des scories minuscule de métal à des champs magnétiques. Il trouve enfin sa prochaine œuvre, une « machine à créer l’Art », en tout cas, c’est le titre d’un article que lui consacre G. Charbonnier dans Connaissances des arts en septembre 1963. Deux prototypes de cette machine en forme de soucoupe volante seront construits, dont l’un a été exposé dans la galerie d’Iris Clert, Faubourg Saint-Honoré en 1963.
Philippe Muel : Le monochromateur est un appareil qui décompose la lumière, grossièrement c’est un prisme. Et alors celui-là évidemment est un peu particulier parce qu’on l’utilise pour faire de la peinture sur pellicule.
On a une source lumineuse, ponctuelle, on décompose cette lumière et ensuite on introduit un appareil, à l’endroit où le spectre se forme, qui sépare les couleurs et il y a des petits trous qui laissent passer soit du rouge, soit du bleu, soit du vert.
Ensuite, si par exemple on envoie un rouge, un vert et un bleu, il y a un second monochromateur qui recompose cette lumière pour donner une autre teinte. Alors, ça, c’est la première partie de l’appareil. On se trouve donc avec un rayon lumineux qui peut varier d’une façon infinie au point de vue couleur.
Il y a un second appareil, qui permet d’élargir à volonté ce rayon. C’est à dire que, quand il arrivera sur la pellicule, ou bien il couvrira l’ensemble de la pellicule, ou bien il sera un point.
Et puis, il y a un troisième appareil, qui est un miroir, simplement, monté sur une rotule qui permet de donner un mouvement à ce rayon qui balaie la pellicule. On se trouve à la tête d’un pinceau extrêmement perfectionné, commandé par des électro-aimants, dans la mesure où il peut changer immédiatement de couleur. Il peut être aussi gros ou aussi petit qu’on le veut et il peut se déplacer entièrement sur la surface sensible, enfin sur la pellicule.
Alors la première constatation, c’est que c’est tellement perfectionné qu’on ne peut absolument pas le maitriser. C’est complètement aléatoire. Il y a trois appareils à faire fonctionner en même temps… On fait n’importe quoi, finalement c’est amusant une fois ou deux, mais c’est sans intérêt.
Alors le second pas consiste, parce que ce n’est pas fait, à automatiser l’appareil. D’avoir les trois éléments dont je parlais tout à l’heure, c’est à dire, la couleur, le mouvement et la dimension de la tache, et d’arriver à les faire fonctionner par un système mécanique ou électrique, et ensuite d’intervenir sur ces trois systèmes.
Georges Charbonnier : Il s’agit de lier cet ensemble de trois appareils, disons, à un ordinateur, d’établir un programme, après quoi, lorsque l’on met en route, on obtient un nombre d’images absolument illimitées.
Philippe Muel : C’est ça !
Georges Charbonnier : Et le programme établi, on peut le modifier, bien entendu, mais le programme établi, on peut avoir un nombre quasi infini d’images, on a plus à s’en préoccuper, la démarche est achevée. On a envie de dire que dans une certaine mesure, on a été au bout de la non figuration. Est-ce que vous acceptez cette formulation ?
Philippe Muel : Oui, mais il y a tout de même autre chose, c’est que il ne s’agit pas de faire marcher l’appareil, il s’agit de créer le programme, tout le problème est là. Alors pour créer un programme, il faut trouver une image déjà. J’en ai déjà un bon nombre d’images, il faut choisir… on pourrait presque appeler ça un style. Puis à ce moment-là, mettre en route, que ça tourne si vous voulez d’une façon quelconque. Puis observer les résultats, en tirer des enseignements et ainsi de suite. Alors donc, on peut créer un certain nombre de styles qui auront tous une infinité de solutions.